Sobriété numérique : l’affaire de tous.tes

Au vu de l’urgence climatique, la nécessité de réduire son impact environnemental touche maintenant tous les domaines… oui tous, même la culture ! Le 30 septembre 2021, LINCC (une plateforme d’innovation des industries numériques, culturelles et créatives) organisait une table-ronde pour sensibiliser le secteur culturel à la sobriété numérique. « Sobriété numérique et industries créatives : quelle entente durable ? » c’est autour de cette question qu’ont débattu les différent.es intervenant.es dans le cadre du forum Entreprendre dans la Culture, organisé par le ministère.

Avec 45 millions de serveurs, et 15 milliards d’objets connectés en 2018, le numérique reste encore bien loin d’être dématérialisé. Interroger l’impact environnemental du numérique revient à s’intéresser aux questions énergétiques et climatiques. À l’heure où la réduction de la dépendance aux flux d’énergies et de matières premières est urgente, la question de la sobriété numérique est souvent présentée comme le « mauvais élève » de la transition écologique. Elle constitue pourtant un de ses enjeux stratégiques. Pour Laurie Etheve, co-rédactrice de l’ouvrage Industries créatives et transition écologique : De la prise de conscience à l’action, la transition écologique n’est pas seulement une contrainte pour ces industries. Elle constitue aussi une opportunité d’innover, de chercher de nouveaux modèles de création et de diffusion.

Une vision nationale et décontextualisée ne nous permet pas de saisir les rapports de force géopolitiques qui se cachent derrière le numérique. Comme le rappelle la productrice Landia Egal, « La valeur est créée au Nord, majoritairement en Europe et en Amérique du Nord, alors que la production et tout ce qu’elle engendre en termes d’impact social, humain et environnemental est située au Sud. ». Par exemple, 80% des déchets d’équipements électriques et électroniques sont exportés vers des décharges sauvages dans les pays du « Sud », notamment en Afrique selon la Banque Mondiale.

Pour appréhender l’enjeu de sobriété numérique, il faut donc avoir une vision d’ensemble. Il s’agit d’une responsabilité partagée entre les usagers et citoyen.nes, les entreprises intermédiaires et les diffuseurs. Une action unilatérale de l’une des parties prenantes est vouée à l’échec : tout le monde doit agir en synergie.

Ce n’est pas une compétition, c’est une collaboration. 

Benoit Ruiz, expert en innovation et environnement

L’affaire des grandes plateformes

Les grandes plateformes de vidéo à la demande (SVOD) comme Netflix ont mis en place des engagements de neutralité carbone. Ils exigent donc de leurs productions des certifications dites « bas carbone ». D’après Benoit Ruiz : « Il s’agit d’une logique irréversible. ».

Pour ces plateformes, deux tendances se dessinent cependant : la volonté de transparence vis-à-vis de leurs utilisateurs quant à leur impact environnemental, ou au contraire un effort d’invisibilisation. Marine Schenfele, responsable RSE (responsabilité sociale des entreprises) pour Canal + témoigne : « On avait peur d’effrayer nos utilisateurs en parlant de notre impact environnemental et, quelque part, de tendre le bâton pour se faire battre. ». Mais la chaîne s’est engagée à réduire de 30% l’impact de la consommation d’une vidéo d’ici trois ans. D’abord du fait de l’accroissement de la pratique du streaming, ensuite parce que ses conséquences environnementales sont plus importantes que le visionnage par canaux classiques (satellite, TNT).

D’ailleurs, la réglementation française tend de plus en plus à imposer aux plateformes qu’elles affichent leur impact environnemental. Le gouvernement a aussi proposé de prohiber le chargement de dizaines de vidéos en même temps sur certaines pages comme sur le site Reddit.

L’Etat ne peut pas à la fois soutenir le développement durable et l’innovation sans se poser la question de l’impact environnemental des innovations.

Landia Egal, productrice

L’affaire des producteur.trices

« Je suis autrice et productrice d’animations en réalité virtuelle et je ne me rendais pas forcément compte de la matérialité des projets que je portais. », témoigne Landia Egal. « J’ai commencé à suivre la fresque du numérique, ce jeu collaboratif où en plaçant des cartes sur la table on remonte toute la chaîne des implications des usages du numérique. ». C’est ainsi qu’elle découvre :

  • le risque de pénuries de métaux rare à l’horizon 2050
  • seulement 30% des déchets électroniques sont recyclés
  • le numérique représente 3,8% des émissions de gaz à effet de serre (dont 1% seulement pour la culture en ligne) et croît de 9% par an…

Dans un tel contexte, se pose la question de la nécessité et de l’utilité de certaines évolutions du numérique. Et le cas de la réalité virtuelle est particulièrement emblématique. Contrairement à l’utilisation d’un téléphone portable, Landia Egal admet d’elle-même que la réalité virtuelle, bien que fascinante, est un usage dont on pourrait se passer. D’autant qu’elle ne répond pas à une demande des consommateurs. Au contraire, depuis cinq ou six ans, c’est l’offre qui cherche à créer la demande par des investissements massifs.

L’affaire des citoyen.nes-utilisateur.trices

Ce qui ressort de l’étude menée par Canal +, c’est que le public est de plus en plus sensibilisé aux questions d’impacts environnementaux de ses pratiques et davantage regardant quant à ses choix de consommation numérique. Pour 80% du public de Canal +, il est important que la chaîne s’engage à réduire son impact environnemental et pour 50% c’est non seulement important mais prioritaire. La plateforme de streaming My Canal propose maintenant à ses utilisateur.trices de choisir le format de la vidéo et de l’image de manière à moins consommer. Un message est automatiquement envoyé au bout de trois épisodes pour s’assurer de la présence de la personne. Sans réponse de sa part, la vidéo est arrêtée. Pascale Garreau est co-fondatrice de l’association Savoir*Devenir qui propose des formations au numérique. Pour elle, en effet, il s’agit de faire évoluer les publics plutôt que de simplement les satisfaire. Puisqu’il est difficile de revenir sur un usage une fois qu’il est acquis, l’éducation à la pollution numérique est selon elle primordiale.

L’enjeu est aussi de cibler correctement les « responsables » de la pollution numérique. Les gros data centers par exemple sont extrêmement médiatisés tandis qu’ils représentent seulement 30% de la problématique environnementale liée au numérique. Deux tiers des impacts environnementaux viennent des équipements, mais l’accent est souvent mis sur leur production et leur consommation alors que la question de leurs usages et de leur (non) recyclage est également centrale.

Amalia, octobre 2021