Qui aurait cru qu’une autrice Wattpad « à l’eau de rose » puisse être éditée chez une célèbre maison d’édition ? La romancière Delinda Dane nous a fait l’honneur de participer ce 11 janvier à la journée d’étude du M1 Humanités et Industries Créatives, au sein du panel « Les clubs littéraires 2.0″organisé par nos collègues de l’option CORED (Conception et Rédaction Editoriales).
Selon ses propres dires, rien ne destinait au départ Delinda Dane à prendre ce chemin. Quand elle commence à écrire sa première histoire Wattpad en 2015, elle a un travail à plein temps et une vie assez classique : rien ne lui permet de se douter qu’elle allait bientôt être publiée. Paru en 2016, « My Only Exception » est le premier roman de Delinda. Elle est depuis signée aux éditions Hugo, une maison dont elle dit n’avoir jamais même pu rêver avant.
Dans les années 2010, l’avénèment de la plateforme Wattpad a secoué le monde de l’édition. Le recrutement des auteurs ne se fait plus comme avant. Si selon Marie Montblanc, éditrice aux éditions Hugo, l’époque où les maisons recevaient de longs et précieux manuscrits par la poste n’est pas tout à fait finie, les éditeurs ont aujourd’hui de nouveau canaux d’information par lesquels dénicher le prochain best-seller. Désormais, tout le monde, si tant est qu’il en est la volonté, peut accéder aux statut d’auteur reconnu par le fruit de son travail, et ce via cette formidable invention qu’est l’Internet. En effet, l’essor dans la dernière décennie de plateformes gratuites de partage de texte comme Wattpad et Fyctia a permis de révéler de nouveaux talents et de susciter des vocations.
La réussite de l’autrice est d’autant plus intéressante que les romans de Delinda Dane -c’est un nom d’emprunt- ont tous un point en commun : il s’agit de romances, genre peu et mal considéré qu’il en est. Elle gagne en 2019 le prix Fyctia de la nouvelle au Festival New Romance. Depuis, elle a arrêté Wattpad et se consacre à plein temps à l’écriture et vit de ses écrits tout en cultivant une solide présence sur les réseaux sociaux.

Delinda Dane via Instagram @delindadane
Les plateformes d’écriture en ligne, un formidable nouveau vivier à auteurs
Marie Montblanc explique. « Fyctia est une plateforme collaborative. Elle fonctionne par concours par genre et par thème ; les auteurs ont trois mois pour écrire et poster un premier chapitre. Pour débloquer le chapitre suivant et qu’il soit visible par les lecteurs, Il faut ensuite recevoir un certain nombre de likes, ce qui les pousse à se placer dans une position qu’ils n’auraient pas eu en dehors de la situation et à se créer une communauté pour assurer la continuité de leur récit. On leur laisse ensuite un mois pour terminer le livre, mettre à plat des statistiques et fignoler le manuscrit de A a Z avant de le publier. Le risque éditorial est alors réduit car connu et a déjà un lectorat. »
Les réseaux sociaux prennent alors un rôle central pour promouvoir la romance, car on a le sentiment qu’il y a besoin d’une proximité avec le lectorat. En tant qu’autrice, Delinda affirme ce besoin de présence sur les réseaux. « Les réponses aux DM (direct messages, messages directs) sont très appréciées et demandées. Mes abonnés n’influencent cependant pas forcement mon écriture, car personne ne sait de quoi parle mon roman en cours ; c’est plus lors de la promo que la communauté peut avoir un impact« . Il n’y a donc pas d’écriture participative mais une forme de promo collective. En effet, les lectrices ne sont pas en reste lorsqu’il s’agit de communiquer sur le nouveau livre favori, comme en témoigne le phénomène Booktok.
Pssst!! Retrouvez Delinda Dane sur Instagram, Twitter et Facebook.
La hype et le bad buzz, le duo compliqué
Pour ces auteurs dont la publication résulte directement de l’engouement du public sur Internet, les retours des lectrices et la réception générale de ses écrits sont essentiels. Pour Delinda, « Le bad buzz est la hantise des auteurs. Dans la romance, on fait par exemple très attention aux notions de consentement, au risque de propager un mauvais message. » On doit parfois faire appel à ce que l’on nomme des sensitive readers (lecteurs sensibles) pour se prémunir de toute formulation douteuse et ainsi ne pas heurter ou blesser des lecteurs involontairement. L’avis d’une sensitive reader ne dirige pas sa manière d’écrire et la direction de son histoire, mais lui permet de faire attention pour ne pas blesser en utilisant les mauvais mots de manière maladroite. Où peut-on trouver ces sensitive readers ? Et bien, parfois, dans son propre entourage ! Ici, c’est une amie noire de Delinda, bien plus à même de se rendre compte des problématiques raciales qui sous tendent le nouveau personnage métisse de Delinda, qui a participé à la rédaction de son prochain roman.
Un processus créatif facilité par le bouleversement des relations éditeur-auteur-lecteur
« Mariée et maman d’une jolie tribu, Delinda Dane est avant tout une grande romantique dans l’âme. Passionnée par les histoires d’amour et les happy end, elle passe son temps libre à imaginer des personnages au caractère fort, et, depuis quelques années, leur donne vie à travers ses romans. Fan de chocolat, de lecture, de pâtisserie et de New York. Avec elle, humour et joie de vivre sont au rendez-vous. » C’est ainsi que le travail de Delinda est décrit sur le site des éditions BMR.
Une prose accessible et un plot entraînant, voilà sa recette : et elle marche. Présente sur tous les réseaux sociaux, Delinda a réussi -notamment via le BookTube et autre Booktok- a se créer une présence en ligne qui lui a permis de tisser de vrais liens avec ses abonnées et lectrices. « Certains se rendent même à des conventions juste pour me voir. A force de les croiser et de les recroiser, j’ai même réussi à créer des relations presque amicales avec certaines de mes lectrices qui viennent systématiquement aux salons ! ».
Il en va de même avec le lien proche qu’elle a tissé avec son éditrice. On est loin des rapports froids et strictement professionnels que l’on peut se représenter d’une maison d’édition classique. Delinda a su profiter d’une relation plus informelle avec Hugo, qui lui permet une plus grande flexibilité dans son processus de création. « Je jette plusieurs idées sur l’ordinateur avant de me focus sur une en particulier. Je rédige d’abord un résumé complet avec trope (scénario), ton et trame complète avant de le soumettre à l’éditrice pour validation. Ensuite vient le contrat d’édition qui fixe un certain délai (deux, trois mois) pour la livraison du manuscrit. L’éditrice me guide dans tout le processus de création. » Cette simplification permet une écriture sans contraintes par chapitre, car c’est juste la trame qui va alors constituer le squelette général de l’histoire. « On a parfois des surprises dans la trajectoire des héros. C’est un stress inutile que de se fixer contraintes par chapitre ; il me suffit d’une grande ligne directrice que suivent les personnages, qu’on apprend à connaitre au fil de l’écriture, comme une poterie. »
Inès Bichel, dimanche 22 janvier 2023